Plus de 40 % des personnes détenues en Italie présentent au moins un trouble psychique. Elles sont environ 30 % en Espagne, 35 % en Angleterre et 60 % aux Pays-Bas. La prison rend-elle fou ? Pour certains, assurément. Pour d’autres, elle n’est que le révélateur de pathologies préexistantes. La prison signe fréquemment la rupture des liens sociaux et familiaux. L’isolement, la promiscuité et le bruit plongent les personnes détenues dans une atmosphère violente. Les consommations de substances sont courantes. Des conditions propices pour que se déclenchent, se développent ou se renforcent des pathologies psychiatriques existantes.
Prison Insider et l’Union nationale des familles et amies des personnes malades et/ou handicapés psychiques (Unafam ) proposent une analyse de la prise en charge des auteurs d’infractions qui souffrent de troubles psychiques dans plusieurs pays européens.
La prison se voit accueillir des personnes en souffrance, elle qui n’est pas un lieu de soin. Les personnels font face à des situations qu’ils ne sont pas en mesure de gérer. Partout en Europe, les parcs pénitentiaires se dotent d’unités de soins psychiatriques ou d’établissements dédiés : "on fait entrer l’hôpital en prison". Des structures hybrides émergent, entre gestion pénitentiaire et soins psychiatriques. La Belgique ouvre des annexes psychiatriques en prison. L’Espagne se dote d’hôpitaux psychiatriques pénitentiaires. La France dispose de 26 Services médico-psychologiques régionaux (SMPR). Elle développe un plan de construction d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), surnommées hôpitaux-prisons.
Les murs sont poussés, place aux malades. Faute de moyens, la qualité des soins psychiatriques, lorsqu’ils sont proposés, ne suit pas. Le recours à l’isolement et à la contention est fréquent. Les traitements médicamenteux sont administrés à de fortes doses. L’évaluation de la dangerosité de la personne est au cœur de toutes les modalités d’enfermement. Les durées des peines et des mesures de soins s’allongent : les libérations sont conditionnées au risque zéro, au terme d’évaluations très exigeantes. Le mirage d’une société sans risque marque l’apogée de la vision sécuritaire de la maladie psychique. Souvent au détriment des soins.
Entre théorie et pratique, un fossé
L’ensemble des huit pays analysés dispose d’un système de prise en charge des auteurs d’infraction souffrant de troubles psychiques. Sur le papier, chacun de ces systèmes semble satisfaire aux normes européennes. En réalité, les moyens, financiers et humains sont très insuffisants. Il en résulte une prise en charge inadaptée, parfois attentatoire à la dignité des personnes malades psychiques.
Une vision sécuritaire de la maladie psychique s’installe en petites touches par une série de réformes. La pénalisation des personnes qui souffrent de troubles psychiques est de plus en plus systématique. Le nombre de déclarations d’irresponsabilité pénale est globalement en baisse. L’opinion publique serait méfiante voire hostile à l’égard des malades psychiques. La personne souffrant de troubles psychiques qui commet une infraction n’est plus vue comme un malade nécessitant des soins mais comme un danger "qui menace ou compromet la sureté, l’existence de quelqu’un ou quelque chose". La laisser en liberté comporte des risques. Dans le même temps, les soins psychiatriques se développent au sein des établissements pénitentiaires. Les prisons sont perçues comme un moyen économique et sécurisé de "gérer" cette population de malades ramenés au rang de numéro d’écrou.
L'Unafam propose quelques pistes d’amélioration
Ces pistes d'amélioration pourraient inspirer des réformes susceptibles d’améliorer la prise en charge des auteurs d’infractions souffrant de troubles psychiques en France. Récemment encore la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité européen pour la prévention de la torture ont dénoncé les pratiques en cours.
Un examen clinique somatique et psychiatrique avant jugement
En France, l’instauration de la procédure de “comparution immédiate” devait permettre de désengorger les tribunaux correctionnels. Elle conduit devant un juge près de la moitié des personnes mises en causes dans les 36 heures suivant leur interpellation. Des enquêteurs sont chargés d’établir en quelques minutes le profil social des personnes mises en cause. Cette activité est confiée à des contractuels d’associations sans formation psychiatrique. L’identification de troubles psychiques est rare. Le recours aux expertises est exceptionnel, n’étant obligatoire qu’en cas de crime.
La formation du personnel pénitentiaire
La prison compte, dans la plupart des pays, une grande proportion de personnes ayant des pathologies psychiques. Certaines administrations pénitentiaires ont perçu la nécessité de donner à leurs personnels des formations pour leur permettre de faire face à des rôles qui s’imposent à eux, en particulier dans les périodes où le personnel soignant est absent.
La Suisse offre à cet égard l’exemple le plus inspirant : tous les surveillants pénitentiaires suivent une formation de base sur la psychiatrie d’une durée d’environ cinq jours.
La continuité des soins
En France la continuité des soins est une question laissée sans réponses du fait de l’engorgement de la psychiatrie de secteurs (CMP), de leur peu d’appétence pour prendre en charge une population doublement stigmatisée et de l’absence de coordination entre psychiatrie carcérale et psychiatrie civile. Dans la plupart des autres pays étudiés, la préoccupation de la continuité des soins existe. Elle s’est traduite par la mise en place de dispositifs institutionnels de coordination…